Prendre le temps d’écouter ce que le vivant cherche à nous dire.

  • Tis-sages

    Comme des araignées à cymbales

    On veut faire du bruit sur la toile

    Poster plus fort que le voisin

    Liker à s'en faire mal aux mains

    Une cacophonie virale

    D'âmes en mal d'idéal

    Qui voudraient devenir Quelqu'un

    Dans le grand réseau du Rien

    Pendant ce temps-là les araignées, les vraies,

    Continuent leur tissage

    Elles nous envoient des messages

    Elles essaient de nous dire

    Que tout ça ne tient qu'à un fil

    Et qu'on ferait bien nous aussi, de tisser

    De réparer nos liens cassés

    Avec la trame du vivant

    Pendant ce temps-là les étoiles

    Tissent des constellations

    Pour nous dire qu'il ne sert à rien

    De briller plus fort que les autres

    Et qu'on ferait bien nous aussi, de tisser

    De réparer nos liens cassés

    Alors qu'il en est encore temps

    Pendant ce temps-là des femmes

    Tissent sans songer

    Que leur geste est sacré

    Car tisser c'est s'initier

    À la sagesse des araignées.

  • Les cigognes

    On ne peut pas accueillir toute la misère du monde,

    disent-ils.

    Comme si

    On avait le choix

    De ne pas porter le poids

    De la misère

    À bout de bras

    Comme si

    La misère n'avait pas

    Des noms et des histoires

    Des visages et des regards

    Qui ravagent

    Nos estomacs

    Comme si

    Les gros titres en première page

    Ne décochaient pas

    Des mots flèches

    Qui nous empêchent

    Sur la plage

    De faire nos mots fléchés

    Sans nous sentir

    Misérables

    Comme si

    Chaque année

    Venu le mois de février

    On ne se laissait pas aller

    À rêver

    En voyant les cigognes

    Nicher où ça leur plaît

    Sans honte et sans visa

    Sans laisser les leurs là-bas

    On pourrait leur demander, aux cigognes

    De faire un peu de place

    Près du ciel

    Pour la misère

    Ça ne les dérangerait peut-être pas,

    Elles.

  • C'est l'histoire d'un épouvantail

    Grand mélomane des campagnes

    Passionné de chants d’oiseaux

    Il s’entraîne à les imiter

    Quand le fermier tourne le dos

    Il les connaît tous par leur nom

    Caille des blés troglodyte mignon

    Mais devoir les effrayer

    Quel taf à la con

    C’est l’histoire d’un épouvantail qui n’aime pas son travail

    Puis il est arrivé

    Le printemps silencieux

    Plus d'oiseaux, plus de boulot

    T’es viré mon vieux

    Bilan de compétences

    Un nouveau chômeur en France

    Qui postule comme figurant

    Aux archives du vivant

    C’est l’histoire d’un épouvantail qui n’a plus de travail

    Il prend la route en sifflant

    Et se fait troubadour des champs

    Pour aller raconter aux gens

    La musique du monde d’avant

    En voilà un beau métier

    Quel dommage d’avoir gâché

    Toutes ses plus belles années

    À râler sur son piquet

    C’est l’histoire d’un épouvantail qui change de travail

    Mais un peu trop tard.

    On pourrait, nous aussi

    Si on osait, changer de vie

    Lâcher nos bullshit boulots

    Quitter nos bureaux sans oiseaux

    Et le faire dès maintenant

    Alors qu’on a encore le choix

    Alors qu'il reste des alouettes

    Et des tourterelles des bois.

  • Les voix de la Terre

    On a lacéré la terre

    À coups de latitudes

    Troublé ses solitudes

    Jusqu'aux cercles polaires

    Ecartelée en planisphère

    Elle subit nos sales habitudes

    De tracer partout des frontières

    Et des tunnels

    Et des carrières

    Je rêvais d'un autre monde

    Ou peut-être juste

    D'une seconde

    D'un endroit sorti du temps

    Où toute l'humanité se taise

    Les machines et les combats

    Les usines les langues de bois

    Ma voisine et les médias

    Même Sainte-Soline

    Ne m'en déplaise

    Que dans la faille

    De ce silence

    Puisse naître un espace

    Immense

    Dans lequel on écouterait

    Les voix de la terre

    Pleurer.

  • Bouteille à la mer

    Je ne comprends pas

    Pourquoi

    Toutes ces bouteilles à la mer

    Est ce que les gens

    Mettent des messages à l’intérieur

    Ou bien des cartes,

    Comme les pirates ?

    Est ce qu'ils cherchent, ces innocents

    À rentrer en contact

    Avec les orques et les baleines

    Avec Ariel la Petite Sirène ?

    Dans ce cas, vraiment,

    Ne vous donnez pas cette peine

    Pour envoyer du love

    Aux peuples des océans

    Pensez, c'est bien simple

    Que toutes nos eaux finissent dedans

    Susurrez des mots doux

    À vos toilettes, aux bouches d'égout

    Laisser trainer des baisers

    Dans le haut du panier

    À linge sale

    Chantez des sérénades

    À votre évier

    Et aux gouttières

    Allez faire des roucoulades

    Dans le lit des rivières

    Si on s'y mettait tous

    Avec un peu de volonté

    On pourrait peut-être déclencher

    Un raz de marée

    D'amour

    Qui emporterait tout.

    Les bouchons, canettes de bière

    Les résidus de crème solaire

    Les sacs plastiques et les mégots

    Et ces foutues bouteilles à flot

    Il suffirait alors

    Dans le monde qui suivrait

    De tendre l’oreille

    En tirant la chasse d'eau

    Pour entendre l'écho

    Tout au bout du conduit

    D'un cachalot

    Qui dit merci.